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Si le puits se tarit - L'adaptation au changement climatique et le problème de l'eau

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Article Publié 14/04/2009 Dernière modification 11/05/2021
« Notre eau est coupée une à deux fois par mois, parfois plus », raconte Barış Tekin depuis son appartement à Beşiktaş, un quartier historique d'Istanbul, où il vit avec sa femme et sa fille. « Nous avons environ 50 litres d'eau en bouteille dans l'appartement pour laver et nettoyer, juste au cas où. Si l'eau est coupée pendant une période plus longue, nous nous rendons chez mon père ou chez les parents de ma femme », explique Barış, professeur en économie à l'université de Marmara.

L'ancien appartement ne disposant pas d'un réservoir d'eau distinct, les Tekin sont directement reliés au système de distribution de la ville. La sécheresse qui sévit à l'ouest de la Turquie depuis deux années implique des coupures régulières de l'approvisionnement par la ville pour des périodes pouvant aller jusqu'à 36 heures.

Les pénuries d'eau ne sont pas récentes, Barış en a vécu dès son enfance. Bien que des améliorations de l'infrastructure signifient un moindre gaspillage d'eau, la sécheresse actuelle est particulièrement grave et le « rationnement en eau » pendant les mois d'été fait partie du quotidien des 12 millions de citoyens de la ville.

Impacts du changement climatique

Chaleurs, sécheresses, précipitations et inondations extrêmes affectent de nombreuses régions en Europe.

L'été dernier, alors que le quotidien espagnol El Pais publiait des photographies de rivières asséchées, les inondations faisaient la une du Guardian en Grande Bretagne. Pendant que le gouvernement local à Barcelone prenait des mesures pour importer de l'eau par voie maritime, le gouvernement britannique évaluait ses défenses contre les crues.

Les causes sont multiples, mais le changement climatique devrait accroître à la fois la fréquence et la gravité de ces phénomènes. Même si nous réduisons les émissions, l'accumulation historique des gaz à effet de serre sera en partie responsable du changement climatique; il y aura donc bien des impacts. C'est pourquoi nous devrons nous adapter et dès lors évaluer notre vulnérabilité et agir pour réduire les risques. Cette analyse de l'adaptation au changement climatique met l'accent sur les problèmes d'eau, le principal étant la sécheresse.

Pénurie d'eau et sécheresse

À mesure que les températures augmenteront, les réserves d'eau du sud de l'Europe s'amoindriront. Parallèlement, l'agriculture et le tourisme nécessiteront plus d'eau, en particulier dans les régions plus chaudes et plus sèches.

La qualité de l'eau se verra également affectée par l'augmentation des températures des milieux aquatiques et l'affaiblissement des débits des cours d'eau. Les précipitations extrêmes et les inondations soudaines plus fréquentes accroîtront le risque de pollution provenant du trop plein d’eau des orages et des évacuations d'urgence des stations d'épuration des eaux usées.

Au printemps 2008, l’état des réserves en eau alimentant Barcelone étaient si bas que des projets ont été mis sur pied pour importer l'eau par voie maritime. Six bateaux, contenant chacun assez d'eau douce pour remplir dix piscines olympiques, devaient alimenter la ville pour un coût estimé à 22 millions EUR. L'eau douce devait venir de Tarragone, au sud de la Catalogne, de Marseille et d'Almeria, l'une des régions les plus sèches du sud de l'Espagne. Heureusement, le mois de mai a été pluvieux, les lacs de barrage se sont suffisamment remplis et les projets ont été mis de côté. Néanmoins, les discussions sur le détournement de l'eau de fleuves tels que l'Èbre et même le Rhône en France se poursuivent (1).

Chypre connaît actuellement une sécheresse catastrophique. La demande en eau n'a cessé d'augmenter au cours des 17 dernières années et s'élève à plus de 100 millions de mètres cubes (m³) d'eau douce par an. Au cours des trois dernières années, seuls 24, 39 et 19 millions de m³ ont respectivement été disponibles.

Pour contrecarrer cette crise, de l'eau a été transportée par voie maritime à partir de la Grèce l'été dernier. Le nombre de bateaux ainsi venus de Grèce jusqu'en septembre 2008 s'élevait à 29. Par la suite, les pénuries d'eau dans ce pays ont ralenti les acheminements. Le gouvernement chypriote a été forcé d'appliquer des mesures d'urgences qui comprennent la réduction de l'alimentation en eau de 30%.

En Turquie, selon les sociétés de distribution d'eau, les niveaux n'ont cessé de diminuer au cours de l'été dernier. Les lacs de barrage qui fournissent l'eau potable à Istanbul étaient à 28% de leur capacité. Ceux alimentant Ankara, qui compte quatre millions d'habitants, n'étaient qu'à 1% de leurs tranches réservées à l’alimentation en eau potable.

Un rapport émanant de l'office des eaux de Crête a dépeint une image alarmante des eaux souterraines de l'île. Les réservoirs aquifères (souterrains), ont baissé de 15 mètres depuis 2005 en raison d'un excès de pompage. L'eau de mer a en fait commencé à s'infiltrer, polluant ainsi les réserves restantes.

Atténuation du changement climatique et adaptation

Les gaz à effet de serre entraînent des changements climatiques. Le sud de l'Europe devrait se réchauffer et s'assécher tandis que le nord et le nord-ouest vont devenir plus tempérés et humides. Les températures générales mondiales continueront d'augmenter.

Les États membres de l'UE s'accordent à ce que l’augmentation de la température au niveau mondial soit limitée à un maximum de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels pour éviter des changements graves de notre climat.

Il s'agit de l'objectif principal des efforts d'« atténuation » du changement climatique de l'UE. Ceux-ci se concentrent sur la réduction des émissions de gaz « à effet de serre ». La limitation des augmentations de température à 2 °C nécessite une réduction d'au moins 50% des émissions mondiales de gaz d'ici à 2050.

Toutefois, même si les émissions s'arrêtaient aujourd'hui, le changement climatique continuerait pendant longtemps en raison de l'accumulation historique des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Les impacts sont déjà visibles dans l'Arctique, par exemple. Nous devons commencer à nous adapter, ce qui implique l'évaluation et la prise en compte de la vulnérabilité des systèmes humains et naturels.

L'atténuation du changement climatique et l'adaptation sont étroitement liés. Plus les efforts d'atténuation parviendront à réduire les émissions, moins notre besoin d'adaptation sera important.


Le contrôle des crises ne constitue pas une mesure d’adaptation

Il faut prendre très rapidement des mesures contre les sécheresses et la crise de l'eau actuelles pour garantir l'approvisionnement des habitants. Cependant, il convient également de développer des politiques d'adaptation à long terme. Les gouvernements, tant au niveau local que national, sont prêts à tout pour favoriser l'alimentation en eau et investissent dans des projets tels que la création de barrages pour stocker l'eau, le transfert d'eau et des usines de dessalement pour rendre l'eau de mer potable.

Les pays méditerranéens s'appuient de plus en plus sur le dessalement pour subvenir à leurs besoins en eau douce. L'Espagne possède actuellement 700 usines de dessalement qui produisent assez d'eau pour approvisionner 8 millions de personnes chaque jour. Le recours au dessalement dans ce pays devrait par ailleurs doubler au cours des 50 prochaines années.

Les pénuries d'eau ne sont pas limitées au sud de l'Europe. Le Royaume-Uni construit actuellement sa première usine de dessalement à l'est de Londres. À un coût de 200 millions de livres sterling (GBP), soit plus de 250 millions EUR, l'usine pourrait fournir 140 millions de litres d'eau par jour, suffisamment pour approvisionner 400 000 foyers. L'ironie veut que la compagnie des eaux qui construit l'usine perde plusieurs millions de litres d'eau potable chaque jour par des fuites dans les canalisations et une infrastructure médiocre.

Le dessalement peut jouer un rôle légitime dans la gestion de l'eau à long terme, mais le processus de transformation de l'eau salée en eau potable est connu pour sa grande consommation énergétique. Certaines usines utilisent à présent l'énergie solaire, ce qui représente une étape positive. Cependant, le dessalement reste une opération coûteuse. De même, la saumure, un sous-produit du processus, est difficile à éliminer et peut nuire à l'environnement.

La gestion de nos ressources en eau

« Il fait souvent plus de 40 °C ici en été, et l'humidité peut être très élevée », explique Barış d'Istanbul. « Les autorités locales nous préviennent mieux désormais et peuvent en général nous dire pendant combien de temps l'eau sera coupée. Nous pouvons donc nous organiser. Toutefois, elles ne semblent pas faire grand chose pour remédier à la pénurie même. J'imagine qu'elles ne peuvent intensifier les précipitations », conclut-il.

Les autorités régionales et nationales en Turquie, et celles de l'Europe tout entière, pourraient mieux « gérer » les ressources en eau. En d'autres termes, elles pourraient prendre des mesures pour réduire et gérer la demande au lieu de simplement essayer d'accroître l’approvisionnement en eau. La directive-cadre sur l'eau (DCE), pièce maîtresse de la législation relative à l'eau en Europe, oblige les États membres à utiliser la tarification (paiement d'un montant) des services rendus en rapport avec l'eau comme un outil efficace pour promouvoir la conservation de l'eau. En effet, la tarification de l'eau est l'une des méthodes les plus performantes pour influencer les schémas de consommation d'eau. Néanmoins, une gestion adéquate de l'eau doit passer par des efforts visant à réduire les pertes d'eau et par des informations sur le rendement en eau.

Une meilleure information pour une meilleure adaptation

Water exploitation indexL'indice d'exploitation des ressources en eau ( Water Exploitation Index, WEI) est un bon exemple du type d'information indispensable pour donner un aperçu de l'ampleur des problèmes auxquels nous sommes confrontés et de leur localisation.
En termes simples, l'indice montre les ressources d'eau disponibles dans un pays ou une région comparées à la quantité d'eau utilisée. Un indice de plus de 20% indique généralement une pénurie d'eau. Comme le montre le graphique, neuf pays sont considérés comme souffrant de « stress hydrique » : la Belgique, la Bulgarie, Chypre, l'Allemagne, l'Italie, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, Malte, l'Espagne et le Royaume-Uni (l'Angleterre et le pays de Galles).
Les données du WEI disponibles pour l'Angleterre indiquent que le stress est particulièrement présent dans le sud-est et à Londres. Ce niveau d'information est essentiel en termes d'adaptation efficace au changement climatique. En connaissant la quantité d'eau disponible dans une région, son origine et ses consommateurs, nous serons en effet en mesure d'établir des stratégies locales efficaces pour nous adapter au changement climatique.


Perspectives d'avenir

Un prochain rapport de l'AEE étudie les Alpes, souvent décrites comme le « château d'eau de l'Europe », car 40% de l'eau douce d'Europe provient de ce massif montagneux. La région alpine a connu des augmentations de température de l'ordre de 1,48 °C au cours des cent dernières années, soit deux fois plus que la moyenne mondiale. D'après le rapport, les glaciers fondent, la limite des neiges s'élève et le massif montagneux change progressivement sa façon de collecter et de stocker l'eau en hiver et de la redistribuer pendant les mois les plus chauds de l'été.

Les Alpes jouent un rôle déterminant en termes d'approvisionnement en eau et ce, pas uniquement pour les huit pays alpins, mais pour une immense partie de l'Europe continentale, alimentant bon nombre des principaux fleuves. En tant que telles, elles servent de symbole emblématique de l'ampleur de la menace et du type de réponse requis. Les stratégies et politiques d'adaptation doivent inclure des éléments à l'échelle locale, transfrontalière et européenne. Des activités apparemment éloignées, telles que l'agriculture et le tourisme, la production d'énergie et la santé publique, doivent être considérées comme un ensemble.

En fin de compte, l'adaptation signifie reconsidérer le lieu et la façon dont nous vivons aujourd'hui et à l'avenir. D'où tirerons-nous notre eau? Comment nous protégerons-nous des phénomènes naturels extrêmes?

Les études de l'AEE qui traitent de l'occupation des terres montrent que la plupart des constructions ont souvent lieu sur les zones côtières. Le rapport de l'AEE, The changing faces of Europe's coastal areas (Évolutions des zones côtières en l'Europe) fait allusion au « mur méditerranéen » et indique que 50% du littoral méditerranéen est urbanisé. Les pénuries d'eau et la sécheresse constituent déjà un problème pour beaucoup de ces régions. La hausse du nombre d'appartements, de touristes et de terrains de golf signifie une demande accrue en eau. Les zones côtières du nord et de l'ouest de l'Europe, qui devraient connaître une intensification des inondations, connaissent également un développement rapide.

L'intégration des thématiques d'adaptation dans les politiques clés de l'UE a été limitée. Cependant, la Commission européenne devrait publier un Livre blanc sur l'adaptation en 2009. Un récent rapport de l'AEE souligne qu'à ce jour, seuls sept des 32 pays de l'AEE ont effectivement adopté une stratégie nationale d'adaptation au changement climatique. Toutefois, tous les États membres de l'UE s'affairent à préparer, développer et mettre en œuvre des mesures nationales basées sur la situation observée dans chaque pays.

La réflexion commune nécessaire à une adaptation efficace n'est pas très développée, mais le processus est lancé.

 Références

IPCC, 2007. IPCC report, Climate ChangeImpacts, Adaptation and Vulnerability (Rapport de l'IPPC, Impacts du changement climatique, adaptation et vulnérabilité), avril 2007.

AEE, 2006. The changing faces of Europe'scoastal areas (Évolutions des zones côtières de l'Europe). Rapport de l'AEE n° 6/2006.

AEE, 2008. Impacts of Europe's changing climate — 2008 indicator-based assessment (Impacts du changement climatique en Europe : l'évaluation 2008 basée sur des indicateurs). Rapport de l'AEE n° 4/2008.

AEE, 2009. Adaptation to water shortages in the Alps (Adaptation aux pénuries d'eau dans les Alpes) (en préparation).

 Footnotes

(1) Le 27 mai 2008, le département de l'environnement de la région espagnole de Catalogne a annoncé que les récentes et violentes précipitations ont atténué la sécheresse dans la capitale régionale de Barcelone, permettant ainsi au gouvernement de lever les restrictions sur l'utilisation de l'eau. Les lacs de barrage qui étaient à 20% de leur capacité en mars sont maintenant à 44%.

 
 

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